mercredi, octobre 31, 2018

Cold war


Favori pour la Palme d'Or, le réalisateur d' Ida est reparti avec le Prix de la Mise en Scène; il a su toucher juste, une fois encore, en nous invitant dans la Pologne de son enfance où la population meurtrie par la guerre se retrouve pauvre et vassale de son vainqueur qui lui impose le communisme.
Le film se déroule sur quinze ans pendant la guerre froide : tout comme la religion, la musique américaine (dont le jazz) était interdit derrière le « rideau de fer ».
La musique traditionnelle doit donc jouer le rôle de ciment et fédérer tous les peuples slaves en faisant vibrer leur âme slave qui s'exprime en chants et en danses; cette musique est au cœur (et au chœur) du sujet ; le titre de la chanson phare le cœur (justement) évoluera au rythme des représentations, de l'histoire du groupe et du parcours du couple qui l'a mis au répertoire.
Un couple fusionnel mais bancal dès le début. Lui est le directeur artistique il choisit ses « sujets », Elle, est belle, elle doit plaire pour être choisie.Cette dissymétrie est mal vécue par la jeune fille dont le parcours a accentué la dépendance aux hommes. Lui est amoureux, ce sentiment lui suffit à imaginer qu'il n'y a pas de doute pour elle quand il décide de s'enfuir pour Paris, ni de mal être quand ils s'y retrouvent enfin.
Leur parcours sera un calvaire...
C'est un film noir, accentué par le choix de tourner en noir et blanc dans un format carré qui met en évidence la dureté, l'affrontement, la trahison, la misère morale ou physique... C'est d'une grande beauté et d'une profonde tristesse.

jeudi, octobre 18, 2018

First Man- Le Premier homme sur la lune


« ici la base de la Tranquillity. L'Aigle a aluni » . Les baby-boomers et les 400 autres millions de téléspectateurs se souviennent de ce 21 juillet 1969 ; ils peuvent tous dire où et avec qui ils étaient en ce jour mémorable (c'était le sujet de conversation des spectateurs en sortant de la projection...). Le monde extraterrestre était là, pour de vrai, sous les pieds  de Neil Amstrong! Jugé par la NASA plus susceptible d'assumer son rôle de héros planétaire que son coéquipier Buzz Aldrin, c'est lui que l'on associera dans l'Histoire au succès de la mission Apollo11 .
C'est l'épopée de cet homme modeste que nous restitue Damien Chazelle, le réalisateur de La La Land et de Whiplash jusque la plus habitué des studios d'enregistrement de musique et de danse que de Cap Canaveral .
Il nous parle donc surtout de l'homme, de la pression qu'il subit et nous fait découvrir son interprétation de la motivation profonde qui lui a permis d'endurer tant de souffrances.
En choisissant pour ce rôle Ryan Gosling, un acteur hors du commun lui aussi, cette descente dans les abysses de ce qui fait le ressort de la volonté et de l'essence même des grands hommes, devient possible. Leur alchimie est comparable à celle qui a permis à Jacques Gamblin de raconter dans son nouveau spectacle qui est vraiment Thomas Coville, le héros des mers.
Les sensations fortes du quotidien des astronautes nous sont restituées ( en partie heureusement!) dans une cabine de pilotage ou une capsule grâce à notre proximité du tableau de bord où les voyants s'affolent, à un vacarme épouvantable et à notre empathie avec ces hommes dont on perçoit  les douleurs induites par les vibrations.
L'opposition entre la normalité de la vie de famille, des barbecues entre voisins ( tous à la NASA quand même) aux  jeux avec les enfants, et l'exigence de l'investissement pour supporter l’entraînement apparaît comme un grand écart absolu.
Le grand écart ira jusqu'à rendre impossible  toute forme de contact amical ou affectif  même avec ses enfants. A mesure que  l'objectif à atteindre se rapproche, Niels s'éloigne des  siens. Une barrière  s'établit  entre un héros qui  revient sur la terre ferme et l'homme ordinaire qui tente d'ouvrir ses bras rendant l'étreinte impossible (dixit... Jacques Gamblin) . La scène admirable des retrouvailles avec sa femme, Claire Foy à l'écran,  lors de sa quarantaine illustre ô combien ce propos.
Combinant à  la fois l l'aspect intimiste de cette odyssée, tout en nous montrant les images  saisissantes de cette avancée scientifique et sans pour autant éluder le contexte politique et social, car les étapes de ce programme aérospatial ont été jugées bien  coûteuses en vies humaines et en budget à supporter par le peuple américain, ce film est réellement "universel" et peut réunir tous les publics.
Toutefois, certains estimeront que la complaisance à décrire le mode de vie à l'américaine, l'imaginaire lié à la lune très appuyé et un sentimentalisme exacerbé par une musique parfois sirupeuse, accentuent le qualificatif de grandiloquent que l'on peut associer à ce genre de film et spécialement les films américains.

dimanche, octobre 14, 2018

Nos Batailles


Le second long-métrage de Guillaume Senez, après Keeper qui traitait déjà du thème de la paternité, sonne juste et fort. Son cinéma le faisait s'apparenter aux frères Dardenne disait alors la critique et pas seulement parce qu'il est belge lui aussi.
Le réalisateur aborde la vie familiale avec un humanisme qui nous emmène au plus près de la réalité comme si la caméra en était absente. Et pourtant il s'agit de relater un bouleversement qui emmène père et enfants loin du train-train boulot, dodo car la mère quitte brusquement le domicile sans laisser d'adresse.
On saura peu de choses sur les causes du départ de Laura, une femme lumineuse à l'extérieur (interprétée par Lucie Deray) qui laisse ignorer à ses proches son mal-être. Sa maladie est-elle causée par son hypersensibilité aux malheurs de son entourage, par le désintérêt de son mari plus tourné vers l'action à l'extérieur plutôt que vis à vis de ses proches ou par le sentiment de culpabilité qu'elle a pu développer suite à la grave brûlure causée à son fils ?
Le film raconte, sans donner la solution, la vie à reconstruire après... Faire face ! Romain Duris interprète sans pathos, cette difficile conversion à un double rôle de chef de famille monoparentale et de travailleur impliqué dans l'amélioration des conditions de travail dans un centre de logistique.
Les portraits d'enfants sont magnifiques dans leur naturel, dans la joie, avec leur tante ( Laetitia Dosch, vue dans
Gaspard va au mariage) ou dans le désespoir. Tous les personnages contribuent à tisser sobrement ce contexte social et familial dans un style vrai qui emporte l'adhésion.

jeudi, octobre 11, 2018

L'Amour flou


Autofiction, sépartement, démariage... Il faut inventer des mots pour parler de ce film réalisé par l'ex-couple d'acteurs Romane Bohringer et Philippe Rebbot et composé dans l'impulsion; les premières images du film ont été tournées avant même que l'équipe de production ne se mette en place et le casting se résume essentiellement aux deux familles du couple.
L'aspect communautaire, hippie aurait-on dit au siècle dernier, de leur mode de vie bohême et  anti-conformiste (comme le souligne le psy scolaire), avant même qu'ils ne se séparent, ne permet pas de généraliser la conclusion qui s 'avère positive pour eux de choisir une séparation floue. La question du parti du "trancher net"  reste entière pour des familles plus traditionnelles.
Cette intimité avec la vie réelle du couple crée un malaise lié à un sentiment d'intrusion puisqu'on les voit tourner ensemble leurs propre rôles. Des mots très blessants et leur sentiment profond de mal-être montrent qu'un fossé profond s'est creusé entre eux. Est-ce la part de fiction ? Ou leur travail commun permet-il une complicité qui n'est pas mentionnée ? Le couple Bacri/ Jaoui tourne et écrit lui aussi  alors même qu'il s'est séparé à la ville, mais pas sa propre histoire!
Bien des critiques et des spectateurs semblent être tombés sous le charme de ce floutage qui ne m'a pas convaincu, de même que les petites saynètes « divertissantes » telles les rencontres avec l'ami des chiens ou le vérificateur de fenêtres.

mercredi, octobre 10, 2018

Voyez comme on danse


Seize ans  après Embrassez qui vous voudrez, Michel Blanc écrit et réalise ce vaudeville qui reprend les personnages imaginés par l'auteur de Vacances anglaises, Joseph Conolly. Considérer le film comme une suite induit nécessairement une comparaison réductrice alors que le réalisateur revendique ici une œuvre plus personnelle pour laquelle il a sélectionné à sa guise les personnages et les acteurs qui les interprétaient. Il y met toutes ses qualités de dialoguiste percutant.
Trois femmes d'âge mur que les fêlures de la vie ont rendu respectivement philosophe (Charlotte Rampling), survoltée (Karin Viard) ou implacable (Carole Bouquet) mènent la danse.
Les rebondissements sont nombreux, dont certains inutiles et la subtilité fait parfois défaut particulièrement pour le rôle de Jean-Pierre Rouve . C'est un film qui illustre bien les les écueils du film choral mais on y rit beaucoup même si la société qui y est dépeinte est inquiétante.
Et le dernier quart d'heure nous emmène dans un cercle plus apaisé, plus humaniste.
La critique presse est toujours bien sévère avec les comédies !

dimanche, octobre 07, 2018

Un Peuple et son roi


Ce film est aux antipodes d'une saga historique de la révolution française ; les événements relatés se déroulent effectivement entre la prise la Bastille et l'exécution du roi mais ils nous sont restitués par le prisme d'une poignée de quelques citoyens du faubourg Saint Antoine.
Parmi ceux-ci, figure un couple improbable d'une lavandière (interprétée avec la vigueur d'Adèle Haenel ) qui va porter haut et fort (bien sûr!) la bannière de la revendication de la démocratie, même pour les femmes, à la manière de la Marianne de Delacroix et d'un ex-voleur de poules incarné par Gaspard Ulliel dont le personnage est totalement onirique et le jeu inadapté au contexte. L'autre couple est plus traditionnel, plus crédible avec Olivier Gourmet en souffleur de verre et sa femme (au foyer) Noémie Lvovsky, tous deux humanistes, plus naturels dans leur recherche de liberté mais dont le scénario ne leur épargne pas le risque du mélo.
Mais le titre résume bien le déroulement des événements le peuple se réjouit de la prise de la Bastille et la scène où le soleil perce enfin une fois le sommet de la tour tombée est symbolique. Il aime son roi avant que celui-ci ne fuit car Varennes marque définitivement le tournant de sa triste destinée. L'importance de cette déception du peuple les conduira en juillet 991 au Champ de Mars et à la fusillade qui en suivra, illustrée bien pauvrement dans le film.
Louis XVI est interprété sobrement par Laurent Laffitte et il semble avoir inspiré le réalisateur qui nous offre là ses meilleures scènes, en particulier sa confrontation cauchemardesque avec les précédents rois de France dont Louis-Do de Lencquesaing en Roi Soleil !
Parmi les bons moments de cinéma, il faut noter les débats à l'assemblée constituante qui devient la Convention Nationale après la prise des Tuileries le 10 aôut 1792  marquant le début de la Terreur ; ils sont tour à tour intéressants, drôles et instructifs (ainsi le passage au vote nominatif de tous les députés qui doivent se prononcer sur la mort du roi). Des noms célèbres prennent le visage familier d 'un acteur, Louis Garrel en Robespierre ou l'interprète de Marat fidèle au portrait du tableau de David de nos livres d'histoire.....
Dommage que le parti pris du réalisateur d'éviter les travers de la superproduction et d'incarner le peuple en nous attachant ( ou pas) à  de futurs citoyens libres nous brouille vraiment le déroulement logique et historique en leur donnant la priorité dans des scènes répétitives ou intimistes .

Leave no trace


La jeune actrice néo-zélandaise Thomasin McKenzie choisie pour interpréter l’héroïne du nouveau film de l'américaine Debra Granik qui avait lancé la carrière de Jennifer Lawrence dans Winter's bone aura-t-elle la même chance ? Elle le mérite car elle assure le rôle  avec beaucoup de grâce, de  naturel et de détermination, une jeune sauvageonne qui va s'émanciper de la tutelle de son père tout en respectant les valeurs qu'il lui a léguées.
Sa survie dans la clandestinité, qui était pour l' adolescente un apprentissage réussi et bien géré par son père, va être vécu ensuite comme une fuite pesante et aléatoire lorsqu'elle va connaître le besoin de créer des liens et de vivre en société. Une vie dans le monde normal que ne peut lui offrir son père un vétéran du Vietnam à jamais traumatisé, prêt à presque tout par amour pour sa fille mais incapable de supporter mentalement le lien d'une communauté.
La communauté qui accueille finalement les fugitifs est celle de vieux hippies reconvertis dans l'exploitation du bois ; l'occasion pour la réalisatrice de retrouver l'actrice Dale Dycker et de décrire un microcosme qui vit en accord avec ses idées. L'amour de la nature et le sens de l’entraide sont prônés comme une alternative à la désertion d'un monde par trop urbanisé et "consumérisé". Cette fraternité s'élargit au monde animal qui apporte à la fois la nourriture (le miel bien sûr pas la viande) et le réconfort psychologique
L'idéologie est véhiculée par des acteurs justes, sans mélo, les photos sont belles et la nature expressive : la nature riche, ménageant des caches et des abris quasi-confortables dans le parc national proche d'Oakland en Oregon se fait hostile plus au Nord dans l'état de Washington lorsque la jeune fille subit la décision de son père de fuir ; elle devient alors adulte puisqu'elle passe du statut de protégée à celui de protecteur.
C'est une très belle histoire d'émancipation où la violence sociologique et les émotions sont contenues les rendant d'autant plus fortes.



samedi, octobre 06, 2018

Frères ennemis


Ce thriller intimiste et réaliste nous fait entrer en immersion dans la vie quotidienne du monde du trafic de drogue, côté cour et côté jardin puisque ces frères ennemis sont respectivement flic et narcotrafiquant.
Son réalisateur français, comme son nom David Oelhoffen ne l'indique pas, a déjà tourné avec la plupart des acteurs tenant les rôles-clé, notamment Reda Kateb (le flic des stups), Nicolas Giraud (le flic de la crim) et Adel Bencherif (Ibrahim, l'indic) ; il les dirige parfaitement dans un contexte qu'il a infiltré longuement avant de tourner et aborde une nouvelle fois un thème qu'il avait déjà illustré dans Loin des Hommes. Ce thème de l'amitié ou de la fraternité entre deux hommes, flic et voyou que tout oppose mais dont les racines obligent à se faire face ou à s'accepter est un peu éculé et pouvait faire craindre de revoir par exemple Les Liens du sang. Mais ici l'approche est fluide, naturelle, la tension est palpable mais le ton est juste, sans grandiloquence.
Cette réussite tient pour beaucoup  à l'extraordinaire empathie que suscite Reda Kateb, couronné meilleur second rôle en 2014 pour Hyppocrate et déjà repéré par Jacques Audiard pour Un Prophète en 2009 . C'est aussi Jacques Audiard  qui nous a fait découvrir Matthias Schoenaerts dans De Rouille et d'Os pour lequel il a été consacré meilleur espoir. Son interprétation est moins sobre que celle de son « frère », peut-être un peu trop d’œillades de ce bleu limpide qui lui a valu des rôles très romantiques ou pour coller à son personnage plus primaire que celui du flic ?
La beauté des photos des paysages urbains, de jour comme de nuit, en proche banlieue ( Les Lilas, Romainville, ce n'était pas gagné) montre aussi le soin apporté à cette réalisation qui nous permet de jouer aux gendarmes et aux voleurs presque « pour de vrai ».

vendredi, octobre 05, 2018

Les Frères Sisters


Dans ce western atypique, Jacques Audiard n'a pas voulu tourner aux USA et nous épargne indiens et cow-boys pour nous conter une histoire de chercheurs d'or où le métier de chimiste permettrait de faire fortune !
Ce film est né de sa collaboration (et on doit même dire d'une complicité à la vue du résultat) avec John C. Reilly qui s'était enthousiasmé pour le livre du canadien Patrick de Witt. Il y tient le premier rôle et sa bonne bouille lui permet d'incarner magnifiquement le rôle du gentil tueur qui s'est trompé de métier . C'est lui qui a permis en assurant la production d' y associer deux acteurs américains de premier plan : Joaquim Phoenix et Jake Gyllenhaal.
Le parti pris intimiste du réalisateur nous invite à entrer dans la tête de quatre individus embarqués finalement dans une aventure commune dont les personnalités et les objectifs vont s'affronter, avec des dialogues très construits . Ces pérégrinations psychologiques n'excluent pas une violence omniprésente dans la forme et dans le fond créant une tension caractéristique de ses films ( Un  Prophète). Pour rassurer les âmes sensibles les scènes n'atteignent cependant pas la limite du supportable comme dans Les Huits Salopards de Quentin Tarentino!
La fin peut surprendre puisque elle rejoint le conseil moraliste voltairien du « cultiver son jardin » .
Beauté des images, psychologie, aventure, histoire et morale constituent ici un cocktail épicé et revigorant pour cette rentrée cinématographique !


lundi, octobre 01, 2018

Thunder road


Grand Prix du Festival du cinéma américain de Deauville, ce premier long-métrage réalisé par un jeune acteur inconnu Jim Cummings crée du début à la fin une impression de malaise (normal il s'agit d'une interminable descente aux enfers d'un policier texan violent en burn-out) mais aussi de gêne.
Certains y voient un humour acide et même de la tendresse combinés à une performance d'acteur dans un scénario qui dénonce une Amérique vacillante...Sûrement, mais le choix du réalisateur, un one-man show intégral puisqu'il produit lui-mêm et en compose aussi la musique, confère à cette « dramédie mentalement perturbée son flot compulsif et dissonant, en équilibre périlleux entre résilience et précipice » (citation extraite de la revue Troiscouleurs de MK2).